1ère exposition personnelle –
MARGAUX MEYER
SOUS LA RÉGULATION DU CŒUR
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Du 06 mai au 10 juin 2023
Vernissage samedi 06 mai de 16h à 20h
Paris Gallery Weekend, du 26 au 28 mai
« Ruminer, digérer, avaler, gober : tous ces mots désignent aussi bien des opérations de l’esprit que celles du corps. Longtemps, les entrailles ont été reléguées, considérées comme scabreuses, indignes d’une considération artistique. Margaux Meyer les ausculte à sa manière, elle troque le bâton de l’haruspice pour ses pinceaux et cotons, et propose une peinture à l’estomac, car les guts ne trompent pas.
D’un côté, quelque chose enfle, ventre-boule de cristal et doigts protecteurs sur T-shirt tiré ; de l’autre, des viscères rappellent que les mages antiques y lisaient les oracles des dieux – pour quels présages ici ? Dans ce jeu de contrastes entre le caché et le couvert, le noir et le blanc, les profondeurs et la surface, Margaux Meyer nous exhibe une leçon d’anatomie poétique. Un aigle, saisi dans son envol, domine ces bellies, et l’on songe à une nouvelle Annonciation dans son sillage tandis qu’il bat la mesure.
On regarde alors de nouveau ces ventres, envers et endroit l’un de l’autre : peut-être que le cœur se situerait plutôt là, et c’est pour cela que « we should say ily like farts », comme le suggère l’artiste ? On sait désormais que notre ventre parle et que notre cerveau exécute, inversant la hiérarchie du haut et du bas qui régissait auparavant notre conception des organes. C’est là que réside notre audace (« en avoir dans le ventre »), c’est là que les émotions se nouent, que notre corps s’exprime jusqu’à la contraction. À la sérénité qui nimbe belly répond la crispation des mains, la torsion du tissu de cramps – le mot douceur n’est-il pas proche, si proche du mot douleur ? La palette nacrée et la suavité du trait s’assemblent pour mieux capturer le spasme : il faut paradoxalement beaucoup délier pour saisir.
Chez la peintre, le travail sur la transparence est plus au service d’une énigme que de la clarté, et un mystère plane. Il n’y a plus de fond comme faire-valoir qui distinguerait nettement une figure, aucun air pour laisser respirer une silhouette. Au contraire, sa peinture s’épanouit dans l’évanouissement, les choses s’y affirment au moment de leur disparition, dans une tension féconde pour le regard entre abstraction et figuration. Ses toiles s’offrent pour certaines comme des blocs de sensation, et selon la focale on y décèlera une forme, guidé·e ou non par le titre choisi avec laquelle l’œuvre dialogue ; ou bien on se laissera hypnotiser par le magma de la matière.
Ses choix de cadrage – au cinéma, on parlerait de gros plans – participent à cette déréalisation, elle met de côté toute frontalité classique pour angler notre attention sur des éléments du corps humains, à rebours de toute convention : le blanc du ventre prend presque tout l’espace, de même que les entrejambes, où le vaporeux du trait rencontre le brut du jean. On ne saura jamais à qui ils appartiennent, membres fractionnés de personnes fantômes.
Margaux Meyer préfère en effet la vitalité du geste à la précision du contour, obéissant au mouvement comme aux battements d’un cœur, viscéral. Elle maintient de l’indéterminé, et certains détails n’en deviennent alors que plus remarquables : le nombril, cette première cicatrice, apparaît en transparence, et une autre entaille cisaille le genou d’un jean. Chez elle, la peinture lâche ses brides en des suggestions qui effleurent les sens sans jamais s’imposer, pulsant seulement d’une forme d’envie.
Celle-ci se perçoit dans l’élan du désir qui se dégage de ses œuvres : désir sans nudité, désir pudique mais d’autant plus malicieux : focus sur les plis de l’aine d’un côté, les haleines se mêlent, dans la fougue des baisers et la coalescence de la peinture, de l’autre. Le dramaturge Jean-Michel Rabeux n’écrivait-il pas que « seul un baiser porte les mots du ventre vers un autre ventre, c’est-à-dire son éternité » (Le Ventre, 2002) ? La peinture salive et allie les êtres, ouvrant la question infiniment relancée et sans cesse à négocier des liaisons, fusions et autres corps à corps.
Reprenant à son compte l’adage de Pierre Soulages, « ce que je fais m’apprend ce que je cherche », l’artiste tâtonne, façon trial and error, pense par variation, répartissant ses tentatives sur plusieurs toiles pour mieux délivrer son geste, se surprendre et nous surprendre : son processus créatif semble seulement régulé par ses tripes et son cœur. Ses toiles émergent ainsi du fond passionnel et personnel de ses goûts et de ses affinités, suivant la pente de l’intuition, celle qui nous fait dire à la fois je sais et je ne saurais pas l’expliquer.
Sous la régulation du cœur, donc : baisers, entrejambes, ventres, crampes – autant de signes et parties du corps par lesquelles s’expriment le « cœur », terme qui désigne moins l’organe que tout ce qui nous fait vibrer, diastole et systole de nos existences, et dont l’oiseau est aussi une métaphore. Margaux Meyer se laisse traversée par une énergie primitive, vitale, et elle l’orchestre, telle une télépathe par les doigts, afin de nous « toucher à distance », pour reprendre l’expression que le philosophe Peter Szendy appliquait à la musique (Membres fantômes. Des corps musiciens, 2002).
La peinture fige, le mouvement reste, et les cœurs battent toujours. »
Ysé Sorel
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Margaux Meyer, née en 1998 à Suresnes, est diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris en 2022, de l’atelier de Tim Eitel. Après plusieurs expositions collectives à Paris et à Milan, elle présente aujourd’hui sa première exposition personnelle : Sous la régulation du cœur à la GALERIE CHLOE SALGADO. En novembre 2023, Margaux Meyer présentera sa deuxième exposition personnelle au centre d’art Le POCTB à Orléans, avec le soutien du CNAP.