1ère exposition en France –
MARIA SZAKATS
MON SEUL DÉSIR
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Du 18 novembre au 23 décembre 2023
Vernissage samedi 18 novembre de 16h à 20h
Daisy Dog Days
Je t’aime,
un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout
Je t’aime,
un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout
Je t’aime, ...
Vêtue d’une robe de soie blanche synthétique, Daisy fait sa déclaration sur fond vert version millefleurs. Saison après saison, elle effeuille sa couronne de marguerites et égrène secrètement les nuances d’amour, moins pour vérifier une prétendue vérité sentimentale que pour passer le temps, l’éprouver. Deux doigts accrochent chaque pétale immaculé et le séparent d’un coup sec d’un cœur jaune plein de promesses éculées.
CŒUR. Ce mot vaut pour toutes sortes de mouvements et de désirs, mais ce qui est constant, c’est que le cœur se constitue en objet de don — soit méconnu, soit rejeté.
1. Le cœur est l’organe du désir [...], tel qu’il est retenu, enchanté, dans le champ de l’Imaginaire. Qu’est-ce que le monde, qu’est-ce que l’autre va faire de mon désir ? Voilà l’inquiétude où se rassemblent tous les mouvements du cœur, tous les « problèmes » du cœur. [...] (Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, 1977)
CRISE. The dog days of August October have often spelled trouble for the world economy. (The Economist, 17 août 2013 octobre 2023)
Chienne de canicule. De vagues de chaleur en guerres froides, les chocs thermiques, sismiques, politiques, culturels, sociaux, économiques, écologiques pleuvent comme chiens et chats. Déréglée, la mécanique s’enraye.
Daisy a hyper chaud. Sa robe ne laisse pas respirer sa peau translucide. Prise de vertiges, elle peine à distinguer nettement la nature des espèces environnantes qui évoluent autour d’elle et semblent se fondre dans le décor — ultime mode de prédation. Entre mimétisme et reproduction, extraction et duplication, faux- semblants et post-vérité, la confusion règne. Les sens sont troublés, les émotions mêlées, les souvenirs brouillés.
Le cours des choses et du temps est rompu, en suspens. Arrêt sur images,
sens
dessus
dessous.
Aux abois, Daisy est saisie d’une lucidité extrasensorielle, d’une prise de conscience inouïe.
Qu’est-ce que l’idéologie capitaliste a fait de son désir ?
Elle l’a confisqué, l’a absorbé. Le manque qui en constitue l’essence même s’est vu comblé par mille choses comme autant d’objets de jouissance aussi tangibles que vain.* Vases communicants en mode subliminal. Comme tout le monde ou presque, Daisy s’est laissée amadouer, elle s’est laissée intimer l’ordre de dilapider son désir sans vergogne. Pas de retour sur investissement. Tu joues tu perds. Jusqu’au jour où...
Il était temps que Daisy se redresse, avant de faner sur elle-même pour le compte d’une vaste entreprise à laquelle elle pensait appartenir. C’est ce qu’on lui avait fait croire. Un mensonge cousu de fil blanc. Le leurre.
PARADE.
Cœur palpitant-papillonnant, Daisy se ressaisit et ouvre l’œil. La sève du désir coule à nouveau en elle. N’est-ce pas merveilleux ? Cette fois elle va le garder bien à l’intérieur et le distiller à bon escient. On ne l’y reprendra pas. C’est une question de vie et de mort.
Sa seule certitude. Son seul désir.
Anne-Lou Vicente, octobre 2023
* « La plus-value, c’est la cause du désir dont une économie fait son principe : celui de la production extensive, donc insatiable, du manque-à-jouir. » Jacques Lacan, « Du discours psychanalytique », conférence à l’université de Milan, 12 mai 1972.
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« Maria Szakats met en mouvement des allegories de la nature humaine à travers son exposition à la Galerie Chloé Salgado. Son travail associe deux éléments essentiellement différents : l'artisanat traditionnel de la broderie et la photographie de l’impossible, une image d’une précision étrange et déformée. Le lien se crée devant nos yeux, grâce au fil de mohair qui se brode sur les images et perfore une à une les photographies collectées par l’artiste, ou des images générées par l’intelligence artificielle. L’œuvre met soudain le naturalisme à l’épreuve de son époque, à la fois dans sa composition et dans sa réalisation. Le mohair brossé donne aux éléments de la tapisserie, oiseaux, chiens, plantes et vanités, une texture aux mouvements inquiétants. Cette première exposition dans une galerie en France de l’artiste autrichienne, intitulée Mon seul désir, apparaît comme l’expression d’une créativité compulsive. Les méthodes utilisées par Maria Szakats requièrent un procédé artistique complexe fait de superpositions et de répétitions, une gestuelle articulée méticuleusement pendant des heures, des jours, des semaines.
Ce processus s’oppose radicalement à celui employé dans son travail de styliste, à la merci d’une fabrication textile industrielle où la réalisation est découpée, cassée, divisée de telle manière que le créateur se trouve toujours en dehors de son ouvrage. Ici, l'œil et la main de l'artiste n’abandonnent jamais l’œuvre. Le procédé long et contemplatif de cette technique de broderie réitère le mouvement de la couleur en interactions formelles, balayées par le geste intempestif de la brosse. L’image des toiles à broder déborde sur les côtés, envahissant le cadre de notes vives, rouge, vert ou noir. Le fil étiré hors de la toile, servant d’encadrement aléatoire, projette l’intensité de ses couleurs sur le mur blanc. L'effet du textile brossé créé une sensation de vertige, comme un rapide arrêt sur image pendant une vidéo accélérée, ou un instantané dont on aurait extrait un détail. L’œuvre est capturée dans un présent inconnu, disparaissant vers un futur incertain.
Les tapisseries représentent des événements allégoriques, suivant les codes traditionnels médiévaux, où oiseaux, chiens et floraison impriment le symbole du mouvement narratif sur le textile. Pourtant, les œuvres ne présentent pas une image déshumanisée du monde, mais plutôt une intériorité humaine déchirée. Les natures mortes brouillées créent une pareidolie à travers les traits morbides des orchidées aux visages de singes dans Monkey Face II, ou les gousses de graines de muflier dans Snap Dragon I, qui, une fois séchées, se transforment en crânes humains.
Le titre de l'exposition, Mon seul désir, provient d'une inscription trouvée dans une série de six tapisseries médiévales du 16ème siècle, nommées La Dame à la licorne, conservées au musée de Cluny, à Paris. Sur un fond de mille-fleurs, les tapisseries évoquent des scènes de nature idylliques, peuplées de plantes et d'animaux. Chaque tapisserie représente l'un des cinq sens, puis sur la sixième, apparaît l’inscription « mon seul désir ». Apparition du sixième sens, le cœur. C’est la projection d’une extériorité humaine, encapsulée dans une sorte « d’être aimé », qu’on pourrait qualifier de bataillien. La licorne, créature mystique, à la fois agressive et violente, est attirée et apprivoisée par la pureté de la femme, tandis que les sens charnels, représentés dans les autres tapisseries, font écho au monde matériel dont il faut absolument se détourner.
Cette femme est pourtant la grande absente de la réinterprétation symbolique faite par Maria Szakats. Les décors allégoriques sont coupés de leurs liens avec la figure centrale manquante et présentés comme des détails minuscules qu’on aurait extrait de l’œuvre originale. C’est donc le spectateur qui est poussé au centre de l'anthropomorphisme allégorique et invité à prendre la place de ces rückenfigurs inexistantes.
Dans l’œuvre de l’artiste, où la représentation du corps humain est absente, l’intériorité humaine est fractionnée, divisée, rompue entre les différentes allégories des toiles de l’exposition. Les évocations sexuelles présentes dans l’œuvre d'inspiration sont explorées, ici, plus subtilement. Les orchidées, ces fleurs, dont le symbolisme est associé à la vulve, tiennent leur dénomination, en grec ancien, de leurs tubercules ressemblants aux organes génitaux masculins. Éros et Thanatos apparaissent également comme une suggestion récurrente, incarnés par ces chiens en lutte, dont les traits se fondent avec l’agitation de leur corps.
Puis, deux aigles pris dans le rituel d'accouplement, sont capturés dans l’œuvre Eagles Spinning où le mohair brossé saisit leur chute en spirale, instant imminent, où les oiseaux se lâcheront ou heurteront le sol. Mettant en tension les techniques artisanales et les nouvelles approches du textile en réinventant la matière imagée de la nature humaine, les œuvres présentées donnent de la texture à la photographie qui devient le prolongement de l'œil de l'artiste. »
Andrew Hodgson
Traduction de Laure Gouraige
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Maria Szakats (1984, Roumanie), artiste autrichienne, diplômée (MFA) de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, vit et travaille à Paris. Travaillant principalement le textile et utilisant un large éventail de techniques, elle produit des œuvres combinant textiles et installation, et tente de créer une tension entre artisanat, image et matière. Après une expérience de quinze ans en tant que styliste dans l’industrie de la mode, Maria Szakats décide en 2021 de se recentrer son travail sur des réflexions purement artistiques, et développe une pratique qui interroge les notions de valeur en termes de temps de production, de valeur, d’usage et de matière. Depuis 2022, elle enseigne également le Design textile et matière à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris. Mon seul désir est sa première exposition personnelle en galerie en France.