Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
Vues de l'exposition Tube, Lulù Nuti, 2024 - Photos: Grégory Copitet © GALERIE CHLOE SALGADO
1 2 3
Souriez. Quel visage acceptons-nous de dévoiler à l’autre dans cet espace-temps millimétré du déclencheur rétinien ? Qu’est-ce que cet air crispé, l’œil toisant, les lèvres pincées ou le sourire acéré nous inspirent ? « Tube » est une série de sculptures sans visage mais non sans humeur. Dernières productions de l’artiste Lulù Nuti pour son exposition éponyme à la GALERIE CHLOE SALGADO, ces pièces ont la particularité d’être des variations d’une même barre de fer ronde. Nuti fait ainsi le choix d’un matériau industriel comme matrice initiale pour mieux explorer la multitude d’histoires que cette forme en devenir a à nous dire ; ou à nous taire.
C’est la Timide qui nous accueille dans un mouvement de repli, qui ne saurait tout à fait cacher la pointe aiguisée qui se dresse en son centre. Elle introduit ainsi la double tension qui sous-tend l’ensemble du travail et de son exposition. Figée dans un geste spiral, elle nous entraine dans son mouvement, autant qu’elle nous repousse. Dépourvues de socle, les Tubes s’étendent dans l’espace, et trouvent leurs appuis autant au sol qu’aux murs, accentuant une impression d’élan chorégraphié. Cette danse s’initie dès les prémisses de l’œuvre, alors à l’état germinal. L’artiste raconte les formes, mime l’énergie de chacune des sculptures. Comme un moule ou sa contre forme, son corps devient le médium préliminaire de la pièce. C’est en dessinant en mouvement les gestes du métal dans l’espace qu’elle communique les intentions de la forme avec Jadran Stenico, artisan forgeron avec qui Lulù Nuti collabore depuis 2017 pour la réalisation de ses pièces en fer forgé. Ce processus de création gesticulée et sensible fait langage et introduit par-là même une approche fondamentale du travail qui mobilise les qualités discursives sédimentées dans tout matériau.
On saisit ici chez Lulù Nuti une continuité avec certains principes post-minimalistes et de l’Anti-form, supposant que le matériau fait forme par ses qualités propres et les traces distinctives que le temps et les traitements à l’atelier auront laissé sur sa surface. Son vocabulaire plastique, dépouillé de représentations, cherche avant tout un mode d’expressivité affectée par le geste, l’usure, et la mise en tension qui s’imprègnent dans la mémoire de la matière. Les strates de son histoire se révèlent d’abord par la cohabitation, dans une même pièce, de différents états du matériau. Parfois laissé brut d’usinage, les terminaisons et les faces des pièces sont quant à elles travaillées de manières distinctives — sculptées, forgées, polies. Nuti traite ainsi ses tubes dans toutes les dimensions que le matériau, le volume et sa mise en espace permettent.
1 2 3
Soleil. Elles prennent la pause. Les sculptures de Lulù Nuti ont cette force d’être des formes en pleine puissance. Des corps souples qui s’élancent dans un mouvement alors capturé comme l’expression d’un caractère, dont la tête et la queue suggèrent une forme zoomorphe qui guide la lecture du geste. Ces deux extrémités du tube ne figurent néanmoins ni début ni fin. Comme le ver a cette particularité morphologique où se confondent l’avant et l’arrière, son mouvement vital est en même temps linéaire — en avant, et expansive — autour. Sa peau tout entière respire. Les deux formes qui caractérisent les terminaisons de ces corps-tubes — une pointe et une membrane — pourraient tout aussi bien figurer deux états simultanés, en acte ou en puissance, de cette vie tubulaire. Un premier état actif de visée, de pénétration, d’extirpation, d’élongation, voire d’attaque ; et un autre de pudeur dans un geste d’expansion épidermique, de recouvrement, de souplesse, et de préservation.
L’ambiguïté permise par ces ambivalences est un modus operandi chez Lulù Nuti qui s’intéresse continuellement à la dialectique entre le dire et le faire, l’idée et le geste, l’apparence et l’être. Les humeurs qui habitent l’espace d’exposition – timide, fuyante, secrète, apeurée, observatrice – procèdent de cette relation duale qui caractérise un mode équivoque d’être et d’être à l’autre. Les Tubes, semblerait-il, jouent à la sentinelle, désirant et repoussant simultanément un point d’attraction qui nous guide au travers de l’espace d’exposition. Elles occupent des positions et des attitudes ambivalentes oscillant de la défense à l’offensive. Quand l’Apeurée plaquée au mur se cache, celle qui Regarde toise au travers de sa surface martelée. Les intentions restent masquées, et la pudeur à l’œuvre se confond avec une tentative de camouflage. Rien ne se donne d’un seul regard. Suscitant ainsi la curiosité et le désir, l’art du dévoilement devient opérant.
Par leurs constantes dérobades les Tubes nous obligent à entrer dans la danse, à nous mettre en mouvement pour déplacer les perspectives, faire bouger les centres, multiplier les angles de vues dans une recherche contraire de révélation qui tend à saisir une unité immédiate et intelligible. Échouant irrémédiablement à contenir l’intégrité de la pièce, nous sommes confronté-es à l’impossibilité de voir deux choses en même temps, activant ainsi la conscience de la potentialité d’une multitude en puissance. Nuti travaille ainsi à faire émerger, sans la corrompre, l’énergie vitale qui réside dans le potentiel caché de toute chose. Pour ça, elle nourrit une relation de doute avec l’objet, suscitant des mouvements de retournement, et d’allers-retours, par des jeux de rupture, de dissonance ou d’épuisement de la matière et ses formes. Pourtant peu accordée a priori à la ferronnerie, c’est bien dans une recherche de finesse et de souplesse que Lulù Nuti mobilise la technique, alors poussée jusqu’à ses limites. Ce rapport n’exclut pas, malgré la brutalité éloquente du fer forgé, une forme de sensualité.
1 2 3
Pierre, Papier, Ciseaux. De l’importance du geste. Trois sculptures au mur de format plus réduit occupent une place d’exception dans l’exposition. Toujours produites à partir du même module initial, le tube dans ce cas s’allonge pour former une main. Comme amputée d’un membre, l’autre extrémité est laissée brute de coupe révélant l’intérieur non pas creux mais plein de la section de fer. La forme-main varie selon trois potentiels : fermée, ouverte, pliée. Faisant le contre-pied à la rigueur méthodique à laquelle l’artiste reste fidèle, la recherche du mouvement qu’elle met à l’œuvre dans ses formes, nous l’avons vu, mobilise des modalités de l’ordre du jeu, de la défiance voire du risque. Le jeu du Pierre, Papier, Ciseaux consiste justement, dans la confrontation avec son adversaire, en une forme de hasard raisonné. Le choix du geste est volontaire mais limité et sera dicté par l’expérience mutuelle des deux joueurs et joueuses. Ce jeu compte ainsi parmi les plus archaïques qui ont traversé les civilisations, souvent mobilisé pour ‘tirer au sort’, faire des choix, solder des situations en s’en remettant aux divinités ou simplement au destin. De l’accomplissement d’un geste, le cours des choses se voit potentiellement bouleversé.
La présence de ces trois ex-voto anatomiques dans l’exposition précise l’approche matérialiste qui infuse le travail de Nuti, affirmant d’une part la charge énergétique et affective incorporée à l’objet, et d’autre part la place fondamentale qu’occupe la relation de la main à la matière. Celle-ci, à l’œuvre dans toutes pratiques artisanales, est d’autant plus prégnante pour le forgeron dont la technique est à l’origine mobilisée dans l’art de l’outillage. La main, l’outil, et la forme se confondent, symbolisant par métonymie, la continuité et la réciprocité de l’agentivité qui existe entre la technique et la matière, le geste et la forme. Si l’ensemble des trois pièces illustre sans équivoque des pratiques ludiques populaires de l’ordre du jeu ou du pari, leur mode de représentation comme des membres fragmentaires convoque aussi leurs fonctions symboliques et affectives à l’instar de pratiques votives populaires.
Nuti dévoile plus explicitement les signes et les images qui nourrissent ses recherches sans se donner à voir dans les formes habituellement plus abstraites qui constituent son vocabulaire plastique. Les Tubes se chargent ainsi d’une densité signifiante plus ample, plus complexe. On observe dès lors chez ces bêtes élongées de nouvelles intentions métaphoriques. Certaines des sculptures se nouent, bouclant sur elles-mêmes jusqu’à se pénétrer. Ici, le motif de l’Ourouboros — le serpent qui se mord la queue — devient un personnage central de l’exposition. Or, alors qu’on lui accorde entre autres des qualités protectrices et régénératives, le phénomène physiologique d’autophagie, qu’on peut observer chez les serpents et coïncidant avec cette image, procède d’un mécanisme de survie létale. Alors soumis à de trop fortes chaleurs, ils s’avalent eux-mêmes dans un effort ultime de régulation. Le serpent ou le ver, c’est aussi comme ça qu’on appelle l’immense tête foreuse utilisée pour percer des tunnels au travers des montagnes. Présente sur un chantier de forage dans le cadre d’une résidence, Lulù Nuti a fait l’expérience de ce ver d’acier qui, dévorant la roche dans un bruit strident, régurgite les entrailles de la montagne en un magma vaseux. En réaction à l’invasion du parasite, la montagne se met à surchauffer pour se protéger à son tour. De l’autophagie à la fièvre géologique, jusqu’au fer en fusion informé sous les coups du marteau, l’élan continue de création et de préservation de la vie prend alors la forme d’une conversation avec le feu.
Noémie Pacaud
_
À l’automne 2024, Lulù Nuti présente sa troisième exposition personnelle à la GALERIE CHLOE SALGADO. Cette exposition marque son retour en France après de nombreuses expositions institutionnelles en Italie; sa première exposition personnelle en institution IN MY END IS MY BEGINNING, présentée au Palais Collicola, le musée d'art moderne de Spolète), s’achèvant tout juste. Ce projet est né de la rencontre entre l'artiste et des scientifiques de l'Observatoire Européen de Gravitation à Cascina (Italie), qui l’ont accueillie et guidée pour explorer l'une des recherches scientifiques majeures de notre époque : celle de l’absolu et des limites de la matière. La sculpture en fer forgé (135 x 200 cm) qui résulte de cette collaboration condense bien l’intérêt de l'artiste pour l'investigation du monde qui l’entoure et son envie de le comprendre en faisant se rencontrer différentes disciplines. L’œuvre, aux formes arrondies et symétriques, rappelle des symboles anciens qui ont précédé les investigations scientifiques mais qui, par leur nature analogique et non analytique, semblent anticiper certaines des théories les plus acclamées aujourd’hui : l'autogénération et l'autosuffisance d'un univers qui s'auto-féconde pour répéter infiniment un cycle d'expansion et de contraction.
Toujours en lien avec ses réflexions sur les cycles régénérationnels, l’artiste a imaginé et créé en juin 2024 DANZANTE DORMIENTE, une sculpture de serpent en fer forgé de plus de treize mètres de long, qui vient s’enrouler autour de la fontaine centrale du jardin de l’Académie Nationale de Saint-Luc (Rome) sur invitation de Stefano Chiodi.
Dans le cadre de Tube, sa troisième exposition personnelle à la GALERIE CHLOE SALGADO, Lulù Nuti continue sa réflexion sur ces questions et explore les propriétés du fer, matériau qu’elle sculpte et transforme en un corps mouvant, dont la rigidité initiale disparaît pour laisser place à des formes plus organiques. Sa démarche continue de s’inscrire dans une approche intellectuelle et sensible de la matière, qui devient vectrice d’un langage poétique où l’intime se mêle à des questionnements générationnels. L'exposition est accompagnée d'un texte de Noémie Pacaud.
Plus largement, Lulù Nuti interroge les relations entre l’humain et son environnement, et son travail devient un espace de projection, dans lequel les spectateurs et les spectatrices peuvent se blottir et laisser leur regard lire un paysage à la fois doux mais abrupt, familier mais chaotique. Ses œuvres transposent matériellement la déchirure qu’elle identifie dans les relations entre l’humain, son écosystème et son époque.
Lulù Nuti (1988, Levallois-Perret) vit et travaille à Rome. Après une enfance à Rome, Nuti déménage à Paris en 2006, afin d’intégrer l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, dont elle sort diplômée en 2012. Dès lors, elle réalise de nombreuses expositions collectives et personnelles, à la fois au sein de galeries (GALERIE CHLOE SALGADO, Renata Fabbri, Galleria Alessandra Bonomo, Galleria Mazzoli, Postmasters, etc.) et d’institutions (Villa Médicis, Musée des Beaux-Arts d’Angers, Fondazione Nicola Del Roscio, Accademia di Belle Arti di Roma, Museo Camusac, Collezione La Gaia, Galerie d’Art Moderne et Contemporain de Rome, etc.).