Exposition personnelle –
XOLO CUINTLE
CURRENT UPCOMING PAST
avec Mathieu Buard, Andrew Dussert,
Oleg de la Morinerie & Milène Sanchez
Du 07 janvier au 18 février 2023
Vernissage samedi 07 janvier de 16h à 20h
Finissage samedi 18 février de 14h à 19h
L’archéologue des fleurs.
Sortant du monopyle, elle contemple l’étrange façade. L’édifice avait été affublé de ce vocable d’architecture encyclique depuis que l’on avait compris, en l’espèce, qu’il souffrait d’une unique porte. Le portail extérieur, disons l’encadrement ciselé appliqué à la pierre, tel un bas-relief fibreux de gros lierres, n’avait été déterré que tout récemment et seule la pointe du toit, depuis là, pouvait à laisser penser qu’il s’agissait d’une enceinte ; quant à l’imaginer totalement forclose, cette salle, morceau spatial concave ou tunnel de lave interrompu, îlot vagabond, l’archéologue n’en avait toujours pas saisi l’usage. Ni la signature d’ailleurs. Dans un pur monostyle, le tabernacle tapissé comme couvert de ses oripeaux, détaillait un délice ornemental. Stéréolithographe d’alors, l’ensemblier univoquement dans son caractère n’avait rien laissé advenir d’autres que les entrelacs savants, qui des modillons aux textures des décors muraux, épelaient des trésors de fleurs et branchages fossiles.
Reprenant la lecture du témoignage d’un auguste confrère explorateur du vague, l’archéologue s’assit et reprit ceci de lui : « Les réseaux ornementaux sont hybrides, comme une grille invisible qui guide les ramures d’un poirier, mais ici les retours et boucles sont paradoxaux. Il cherche le mot juste qui donnerait à penser ces évidents dysfonctionnements, et maintenant qu’il a domestiqué les canidés du regard, il se plait à divaguer sur la terminologie des fleurs, fêlures et câblages phytomorphiques qu’il observe. Une chose frappante, balustres et branches sont du même substrat. Auto engendrement, interminable anastomose qui recouvre le lit du lac. Etrange mobilier, ces rameaux fabriquent par tresses spécieuses, un filet, une nasse géante, déterré sans égard et jusqu’alors souterrain. » Disait-il fantasque, l’autre.
Ici, on observe plutôt une cosmologie de flore, cartographie ou grammaire dont le sujet évanoui reste distinct à l’appréciation d’une lumière compagne. L’archéologue des fleurs, ainsi baptisée par le bouquet de modénatures architecturales qui l’entourent, lit le mur. Et les formes qui miraculeusement subsistent décrivent non plus des mots mais des phrases végétales. Le texte est épars, à plat, comme des pièces des objets en kit le sont, déballés de leur boite.
Décidément, Delphos donnait tout ce qu’elle pouvait de plissés, de creux et rondes bosses magnétiques. Elle écrit sur le dos de la lettre volée : « La fleur fossile est un motif en hibernation. »
Helicoidea.
Dans la salle d’attente, j’attends.
Immanquablement.
Au fond, une porte qui ne s’ouvre toujours pas. Elle souffre cette porte, je le sais, de n’être pas le seuil, l’espace liminal et magique, de l’ailleurs. La prise crépite. Le diagramme floral accroché comme un panorama pittoresque de montagne rétroéclaire la pièce d’un bleu bizarre. L’ensemble des choses jusqu’à ma peau, derme devenu grisâtre au voisinage décadent des éléments tubulaires, des mobiliers de patience et des heures livides qui nourrissent la scène, m’apparaît sobrement et clairement pétrifié. Sur la pile de l’étagère, « Je parle au mur ». Vaste programme.
Un halo supplémentaire sculpte une contre-lueur sur le bord de la cloison face à moi. J’ai peur. La prise grésille, maintenant et à nouveau. On ne va pas me dire que twin peaks, c’est IRL. Si ? Le petit tableau délicieux au-dessus de la porte définitivement close se floute. J’aimais bien ce modèle de réalité stable, élégant, installé. Pourquoi faudrait-il que je pluriverse à mon tour.
Et la porte close, la seule de la pièce, ne déclare toujours pas sa suite. Salope.
Assis sur ces pieds, le bureau, guichet des rendez-vous et des posologies austères, me contemple. J’expérimente intensément, dans l’instant qui dure, la vie des plantes, superbes et statiques, immobiles et hiératiques qui proposent un modèle subversif, la contre indication du sol, en apparence du moins, l’élévation hélicoïdale. Suis-je une sculpture ?
Un clou, presque invisible, planté à même le montant de la porte, fixe mon vertige végétatif. Je m’agglutine, mollusque soudain, transfiguré par cet écu mythologique, médusé. Scalaire d’aquarium ou simple escargot terrestre, celui inventorié dans les familles élargies desquelles le peintre renaissant se plaît à voir traverser l’organisme mou, indéfiniment, à l’oblique de la toile, dans le champ uchronique de la représentation. Je suis une vase aux anses et modillons pathétiques, sans l’ombre d’une fleur. Well.
De squelettes, la taxinomie savante accrochée à la verticale et qui diffuse les arcs et rayons gris m’en présente d’autres : collections de portails, encadrement de portes, cadres et portiques, planches de parergons superbes qui bordent ou débordent le trou comme la fenêtre ouverte. Trompe l’œil ou billevesée, seul l’ombre du dessous de la porte, raie de journée, m’appelle.
En mon fort clos : Porte des enfers ; Murs de purgatoire. Quel beau métier que d’enluminer les lieux d’une domesticité établie des jeux et traces de son propre pas.
Depuis les limbes, j’attends les fleurs du futur.
Enroulements.
Entre deux zones, mode d’emploi volé, fleur évanouie, motif dans le tapis. Tel un grand décor inversé, Xolo Cuintle et consorts proposent ici et comme une signature un cadre domestique transgressé. Le mobilier sensément monté est taillé, découpé, aplatit depuis la surface moulée ou creusée du bas-relief jusqu’à la ronde bosse des pièces détachées, façon éclaté mathématique ou constellation rhizomatique. La matière subversive dénature la frontière étanche des arts, des arts décoratifs et des formes vernaculaires.
L’espace de la galerie, dompté des modénatures, halos et couleurs peintes, trouve les entrechats ornementaux suffisant d’un combat de gladiateurs face au monstre faille déposé sur un frugal plateau par les artistes en offrande aux visiteurs : de quelle matière est faite le temps ? Et que reste-t-il ? Sur la planche de dissection la fugace présence, le monument temporel, l’inéluctable seuil de l’instant à venir.
L’installation propose la somme des échos et rebonds d’un artiste habitant, tel qu’en sa coquille il sculpte. Le whitecube lui propose le cadre à nu ou presque, tant les signes inframinces distillent une qualité de présent. L’occasion de ramifier par prolongements organiques et vivaces, de définir les lignes perspectives d’un ensemble à édifier, cosmos et prisme à la fois. La peinture fraiche déposée est entachée de spectres colorimétriques d’un rayon soudain, les ombres sont les traces d’un passé résolu, les accroches des frontispices miniatures de littératures encyclopédiques à rejouer.
Révolution de palais, chaise interdite et mobilier piraté, toute surface investie accroche les fantômes, même les fiches à vase fondues dans le plus bel alliage. Entre glyptographie, c’est-à-dire l’écriture et la lecture de pierres gravées, et le plaisir d’une collection domestique, les objets hybrides, image-peinture, ciselure-clou, chaise pliée-bas-relief, porte-manteau-sculpture, désigne l’enroulement du motif figuré autour de la matière, coup net, grand lierre qui monopolise l’œil comme la forme.
La peinture de Milène Sanchez
La ferronnerie d’Andrew Dussert
L’ombre atmosphérique d’Oleg De La Morinerie La grammaire sculpturale des Xolo Cuintle.
Futurs locataires, anciens résidents, habitants en passe muraille. Les signes égrainés dans le lieu sont autant de règles d’aimantation d’un regard d’entre-relations, attraction et permanence de phénomènes sensibles. Portail, ou seuil de ce que l’on nomme un sentiment esthétique pris dans l’économie d’une attention portée.
Entre-deux.
Mathieu Buard – Janvier 2023.
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Xolo Cuintle est un duo formé par Romy Texier (1995) et Valentin Vie Binet (1996), qui vivent à Paris et travaillent à Aubervilliers. Ensemble, ils produisent des œuvres qui bousculent les frontières entre la sculpture, le mobilier et le décor. Assemblant béton, métal et bois, ils créent des scènes désertées et pétrifiées, entre rêve et simulacre, dont l’on ne saurait distinguer ni l’histoire passée ni celle à venir. Les créations de Xolo Cuintle, minutieusement assemblées et disposées en fonction de chaque espace, se jouent des objets qui constituent les topographies de notre quotidien, en les plongeant dans un état de latence permanent.
Pour l’exposition Current Upcoming Past, Xolo Cuintle nous invite à pénétrer dans un lieu en rupture avec la conception traditionnelle du temps. Intéressé par la notion d’hétérochronie établie par Foucault, le duo exacerbe en ce lieu aux frontières du réel la relation de causalité qui lie l’espace au temps.
Au sein de cet espace-temps au caractère ambigu, le présent s’envisage comme l’interconnexion d’un passé et d’un futur indissociables. Alors que le passé qui semblait révolu est ici encore existant, le futur est lui-même déjà présent. Entre continuité et cassure, juxtaposition ou intemporalité, les seuils soutiennent l’équilibre précaire des formes. À la lisière de l’achèvement [past] comme du commencement [upcoming], ces lieux de bordures, embrassent leurs qualités transitoires. D’un espace à un autre comme d’un état à un autre, l’espace est ici lié au passage, à la transformation. Presque un non-lieu, une simple succession de portes ouvertes, il emprunte à ces espaces qui régissent l’équilibre [present] entre les différents milieux : la salle d’attente, le SAS ou encore le lobby.
En cette occasion, Xolo Cuintle invite les artistes Andrew Dussert, Oleg de la Morinerie et Milène Sanchez à produire un ensemble de contributions relatives aux temporalités, ici repensées autour de la formule [current] [upcoming] [past].
Au travers de ses portraits d’expositions basées sur leurs documentations, Andrew Dussert s’intéresse à la transcription des sensations subjectives comme une archive sensible. Pour Current Upcoming Past, il est sollicité pour réfléchir à la notion de la post-exposition, ainsi qu’à la question de l’archivage, c’est-à-dire à son devenir de l’exposition dès lors qu’elle basculerait dans le « passé » [past]. En prémonition de cette contribution qui ne sera dévoilée que lors du finissage, seront disséminés dans l’espace [present], plusieurs augures de ce qui sera « à venir » [upcoming].
Oleg de La Morinerie est lui à la recherche d’un matériau qui aurait la texture du rêve. Il s’intéresse à l’image et ses perceptions comme la traduction de la structure fantasmatique de l’esprit. Ici il est invité à investir les murs de la galerie et étendre les frontières de son architecture à de nouvelles dimensions, d’une surface à un espace. Ces images qui miment le monde physique, tissent un monde flottant où les plans ne se suivent pas, une simulation d’objets seulement teints aux nuances du réel, des « images d’images »
Milène Sanchez quant à elle, à travers une recherche menée sur la couleur, la lumière et les relations possibles entre le geste et son absence, aspire à capter par ses peintures non pas ce que l’on voit, mais ce qui semble relever de l’invisuel, de l’émotion, de la sensation. Ses peintures à la ligne temporelle trouble, mises en relation avec l’architecture, soulignent ici l’impossibilité de dater l’espace d’exposition.
Enfin, le critique et commissaire d’exposition Mathieu Buard est convié à développer un texte d’exposition en trois temps.
En collaboration avec la galerie Claire Gastaud.