La GALERIE CHLOE SALGADO est heureuse de vous convier à son exposition inaugurale, une exposition personnelle de LULÙ NUTI, Calcare Il Mondo.
Inspirée par les initiatives pour combattre le réchauffement climatique, Lulù Nuti imagine Calcare Il Mondo : « Si un scientifique propose de peindre les toits du monde en blanc afin de réfléchir la lumière du soleil (White Roof Project), et que d’autres lancent un appel à candidature pour coloniser Mars (Mars One), je propose alors de mouler le monde afin de le reproduire ailleurs. » Un geste poétique et une réponse ironique, inquiète et provocatrice à une société, où les limites entre fiction et réalités semblent s’effacer.
Pour cette série, l’artiste débuta une recherche quasi-scientifique, à la Bikini Art Residency au Lac de Côme, où elle fut invitée en 2017, et où elle utilisa son studio comme laboratoire, afin d’imaginer différentes façons de mouler le monde, et ce qu’il se passerait si une erreur venait entraver sa démarche. Les œuvres sont façonnées à partir de globes, en utilisant la technique classique du moulage, alliée à des matériaux de construction, tels que le béton et le plâtre, permettant à l’artiste de reproduire la Terre sous la forme symbolique du négatif. Elle utilise un pigment bleu, dans une intervention similaire à celle de la technique de la fresque qui, en séchant, révèle la surface occupée par les mers et les océans. Dans ce processus, et chaque fois de manière inattendue, certains mots et éléments des globes originaux s’empreignent sur la surface des œuvres, témoins fantomatiques de l’objet moulé. L’artiste a également travaillé le concept de choc ou de catastrophe dans sa démarche, en dégonflant le globe pendant le processus de moulage, provoquant ainsi l’effondrement imprévisible de l’œuvre et de la Terre.
À travers sa recherche elle entend faire émerger les sentiments de responsabilité et d’impuissance que notre époque génère. Ses installations sont marquées par une dualité constante entre présence et effacement, équilibre et fragilité, à travers l’exploration de matériaux de construction et d’éléments naturels.
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« Biberonnée aux premières images de la Terre vue de l’espace prise par la NASA en 1972 et aux découvertes successives de planètes soi-disant habitables, Lulù Nuti a pris acte de la révolution Copernicienne opérée au moment des publications du fameux Blue Marble Shot. Bercée par les blockbusters mettant en scène une Terre en train d’exploser, elle s’interroge sur les futurs lieux habitables. Qui sont les colonisateurs de l’univers ? Comment s’y prennent les astronautes pour explorer le monde ? Elle leur fournit des matrices portatives de notre Terre, à emporter avec eux sur Mars ou Pluton, comme des souvenirs ou des modèles réduits. Ce geste poétique et absurde est illusoire, et s’apparente plus à une spéculation intellectuelle qu’à une solution pragmatique.
Enfant de la génération Tchernobyl, Lulù est intimement marquée par les catastrophes de la fin du siècle : les accidents nucléaires, l’épidémie du SIDA, le réchauffement climatique et la crise migratoire. Alors que les phénomènes qu’elle observe dépassent les frontières et sont intrinsèquement internationaux, elle se pose la question de la façon de définir leurs formes et leurs limites. En découle une réflexion sur la contamination, la propagation, et son corollaire : la cartographie.
Lulù Nuti représente le moment de basculement dans lequel nous nous trouvons tous, indiscutablement. S’inscrivant dans l’anthropocène, elle annonce le désastre – la fin de l’influence favorable d’un astre – , un revers de médaille, un renversement qui nous dépasse et nous bouleverse. Car l’artiste italienne est une de ces lucioles dont Pasolini déplore la disparition dans L’articolo delle luciole (1975), (L’article des lucioles, Écrits corsaires, Paris, Flammarion, 1976, ed. 2005, p. 180-189). Le réalisateur italien déplore : « Au début des années soixante, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleurs d’azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître. »
Pourtant, elles survivent, comme le démontre Georges Didi-Huberman et sont même la lueur à suivre. Ces faibles lumières sont des guides en cas de danger écologique ou de dictature politique (Survivance des lucioles, 2009, Les Éditions de Minuit, p. 44-50) : « Les lueurs – comme on dit “lueurs d’espoir” – ont disparu avec l’innocence condamnée à mort (...) ce ne sont pas les lucioles qui ont été détruites : plutôt quelque chose de central dans le désir de voir – dans le désir en général, donc dans l’espérance politique – de Pasolini. » Il précise (op. cit. p. 128) que « l’expérience est indestructible, quand bien même elle se trouverait réduite aux survivances et aux clandestinités de simples lueurs dans la nuit. »
Lulù est une lueur dans la pénombre. Elle propose une image, intermittente et fragile, pleine de cette dualité entre présence et effacement, équilibre et fragilité. Pour Didi-Huberman, les « “images- lucioles” peuvent être regardées, non seulement comme des témoignages, mais encore comme des prophéties, des prévisions quant à l’histoire politique en devenir » (op. cit. p. 119). Il en est ainsi pour Lulù pour qui l’art est un outil d’éveil, de représentation des conséquences de nos activités sur notre environnement. Ses pièces sont à la fois le manifeste visuel de sa démarche, et son moyen d’action. Car face à ces catastrophes, l’artiste propose un nouvel alignement des astres, qu’elle moule, classifie, range. La personnalité et son travail ont beau être pleins de cette conscience des dangers et de notre responsabilité face à leurs conséquences (la série est intitulée Beyond our control), l’artiste évite cependant tout ton apocalyptique et ne promet aucune résurrection. Elle crée des objets qui figent avec grâce « une forme d’infini cristallisé en un instant qui perdure à l’infini ». Dans son œuvre, la survivance est entendue comme capacité de résistance. »
Jeanne Barral