1ère exposition personnelle en France -
STEVIE DIX
THE NEARER THE GROUND,
THE LOUDER IT SOUNDS
Du 07 mars au 14 juin 2020
Vernissage vendredi 06 mars 2020 de 18h à 21h
La GALERIE CHLOE SALGADO est heureuse de vous convier à The nearer the ground, the louder it sounds, la première exposition personnelle en France de Stevie Dix.
Stevie Dix (1990, Genk) est une artiste autodidacte belge, qui vit et travaille dans le Suffolk, en Angleterre. Après avoir grandi à Genk, une ancienne ville minière belge, Stevie Dix déménage à Londres en 2010 pour s’immerger dans un environnement plus créatif, et étudie brièvement à l’école alternative d’art Turps Banana (2016-2017). Elle déménage ensuite une seconde fois, pour s’installer dans le Suffolk, et rejoindre les Asylum Studios, des ateliers d’artistes établis sur une ancienne base aérienne de la Royale Air Force.
Elle présente sa première exposition personnelle, La Mauvaise Réputation, en 2016 à la galerie Collectiv National à Anvers. L’année suivante, en 2017, après une exposition personnelle à Londres, England I Love You, But You’re Bringing Me Down à la galerie Rob Barton; elle présente deux expositions personnelles aux USA : Conceived In El Coyote, à The Cabin, Los Angeles, et Tennis Elbow, à The Journal Gallery, New York City. En 2018, elle présente encore deux expositions personnelles : Désert, à Nevven Gallery, à Göteborg en Suède, et The Devil’s In The Details, à L21 Gallery, à Palma de Majorque en Espagne.
The nearer the ground, the louder it sounds (Plus le sol est proche, plus le bruit est fort), à la GALERIE CHLOE SALGADO, est la septième exposition personnelle de Stevie Dix, et sa première en France. L'artiste présente une nouvelle série de peintures, ainsi que ses premières pièces en céramique.
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« Quoi des chaussures ? Quoi, des chaussures ? De qui sont les chaussures ? De quoi sont-elles ?
Et même qui sont-elles ? »1 Jacques Derrida
Bruxelles. Il fait gris, humide. La ville est sombre. Charmante pour certain.e.s, peu attrayante pour d'autres. Une ombre se dessine, sans que l’on puisse bien en discerner la silhouette. Une botte à plateforme s'écrase dans le cadre, le bruit de la collision entre la semelle de la chaussure et l'asphalte humide résonne dans l'espace.
Cette scène qui se déroule à Bruxelles est maintenant transposée à Paris. En toile de fond, la GALERIE CHLOE SALGADO ; et en tant que metteuse en scène, Stevie Dix, qui nous dévoile cette représentation abstraite d'une promenade à travers une ville qui lui est chère. Mais ici, le paysage urbain est obscurci, la figure humaine, absente. Car Stevie Dix s'est concentrée sur un seul élément de son répertoire de symboles : la chaussure. Parcourant une nouvelle série de tableaux, un troupeau de bottes à semelles compensées apparaît comme un motif récurrent, chacune isolée sur un fond noir, ce qui leur confère un pouvoir allant bien au-delà de celui d'un accessoire de mode. Ici, les bottes exagérément grandes jouent le rôle principal dans le spectacle qui se matérialise devant nous. Pris.e au piège entre leurs pas et le sol de la galerie, le.la spectateur.trice est placé.e en dessous, regardant ces créatures exquises qui défilent. Plus le sol est proche, plus le bruit est fort.
Les toiles présentées s'éloignent des œuvres souvent colorées de l'artiste, des compositions abstraites remplies d’objets. Ici, l'objet en question est agrandi, isolé, posé sur de sombres paysages d’impasto lourds. Si les compositions évoquent un certain malaise, c'est que le récit auquel nous faisons face est ancré dans l'histoire personnelle de l'artiste, évoquant des émotions d'angoisse adolescente, de nostalgie, et de désir d'évasion. Les chaussures « transmettent pouvoir et histoires, elles témoignent d’un statut atteint [...] elles sont porteuses d'une puissante émotivité. »2 C'est précisément cette émotivité que Stevie Dix explore avec sa nouvelle série de peintures de bottes à plateforme suspendues dans leur marche. Ayant grandie dans une ville industrielle en Belgique, Stevie Dix chinait dans les friperies en cherchant des vêtements et des accessoires des années 1970, trouvant des moyens d'échapper à la banalité du quotidien en se déguisant. Fascinée par les mouvements glam rock et punk, l'artiste composait des tenues et s'aventurait dans la capitale belge pour oublier, même brièvement, l'enfermement que nos villes natales représentent quand nous sommes jeunes. Pour Stevie Dix, la botte à plateforme était le véhicule de l'évasion.
Cette mise en scène de soi évoque une certaine théâtralité, qui imprègne l'exposition à travers la répétition du geste en une marche chorégraphiée. Les coups de pinceau multiples et lourds imitent les pas répétitifs des chaussures qu'ils dépeignent et qui résonnent dans l'espace. Pourtant, cette réverbération n'est pas sereine. Elle évoque la pulsation angoissante de la ville. « La définition de la vraie folie est la répétition » affirme l'artiste en parlant de ses tableaux. Loin d'une psychanalyse de soi, cette déclaration est plutôt une référence aux différents personnages et éléments qui composent des paysages urbains délirants,3 parfois irrationnels, incompréhensibles, mais omniprésents. Les bottes deviennent des monuments, des gratte-ciel qui s'élèvent au-dessus du.de la spectateur.trice, pénétrant le paysage de la galerie devenue ville. Et la ville est l'environnement parfait pour s’échapper, où l’on devient à la fois anonyme et individuel, où l'acte de marcher seul permet de se transformer. « Le.la promeneur.se solitaire est à la fois présent.e au monde qui l’entoure et détaché.e de lui, spectateur.trice plus que protagoniste. Marcher soulage ou légitime cette aliénation. »4 Cette aliénation est accentuée par l'absence du corps, qui donne lieu à plusieurs interprétations : ces bottes peuvent être lues comme des portraits de l'artiste, comme des individus anonymes, et/ou comme une identité collective.
Cette question picturale de l'anonymat et des chaussures a déjà marqué l'histoire de l'art. Les diverses peintures de chaussures réalisées par Vincent Van Gogh dans les années 1880 ont suscité différentes réponses tout au long du XXe siècle. Ce débat a commencé avec l'analyse de Martin Heidegger de ces peintures comme moyen d'illustrer la nature de l'art en tant que révélation de la vérité. Pour Heidegger, les chaussures représentaient le paysan ; pour Meyer Shapiro, elles étaient l'artiste lui-même ; pour Jacques Derrida, n'importe qui.5 Et pourtant, qu'en est-il de la vérité ? Ou, comme le demandait Jacques Derrida, qu'en est-il des chaussures ? Cette interrogation sur ce que représente la chaussure semble loin d'être pertinente dans le monde dépeint par Stevie Dix car, ici, les chaussures sont des personnages en soi, à la fois contenants, contenu et contenues dans leurs toiles. En effet, elles évoquent l'artiste elle-même, car l'acte de peindre est très personnel. Cependant, elles représentent également diverses générations et personnes. Ces chaussures sont donc des êtres à part entière, elles sont Stevie Dix, elles ne sont personne, elles sont tout le monde.
Dans The nearer the ground, the louder it sounds, l'artiste ne se contente pas de nous transporter dans un paysage urbain belge abstrait par la présence de bottes à semelles compensées, elle introduit également des éléments dérivés de l'environnement matériel dans lequel elles errent. Peu connues et facilement oubliées par les passants, des poignées de porte en céramique ornent différents bâtiments dans les villes belges. Plates comme des carreaux, ces céramiques sont souvent décorées de motifs abstraits du milieu du XXe siècle. Inspirée par ces éléments à la fois décoratifs et fonctionnels de son pays d'origine, la première exploration de Stevie Dix du médium céramique a transformé la fonction de ces objets pour qu'ils jouent un rôle dans la mise en scène de ses chaussures monumentales.
« Les marcheur.se.s citadin.e.s sont des practien.ne.s de la ville, faite pour être parcourue à pied. La ville telle qu’il.elle la voit est un langage, une réserve de possibles, et s’y déplacer à pied revient à en pratiquer la langue, à effectuer un choix parmi ses possibilités. »6 Stevie Dix nous présente un langage visuel, comme une ville, composé de bottes et de céramiques, une perspective intime de l'environnement bâti. En tant que visiteur.se.s, ou promeneur.se.s, nous naviguons dans l'espace, inventant des moyens d'interpréter et de réinterpréter le paysage urbain qui se déroule devant nous.
Katia Porro
Traduit de l’anglais par l’auteure
1 Jacques Derrida « Restitutions, De la vérité en pointure » dans La Vérité en peinture, 1978, p. 293.
2 Hilary Davidson « Holding the Sole: Shoes, Emotions and the Supernatural » dans Feeling Things: Objects and Emotions through History, 2018. Traduit par Katia Porro.
3 Réference à Rem Koolhass New-York délire, publié en 1978.
4 Rebecca Solnit, L’Art de marcher, traduit par Oristelle Bonis, Actes Suds, 2002, p. 39.
5 Martin Heidegger, L'Origine de l'œuvre d’art, publié en 1935 ; Meyer Schapiro « L'objet personnel, sujet de nature morte. A propos d'une notion de Heidegger sur Van Gogh » publié en 1968 ; Jacques Derrida « Restitutions, De la vérité en peinture » dans La Vérité en peinture, 1978.
6 Rebecca Solnit, L’Art de marcher, traduit par Oristelle Bonis, Actes Suds, 2002, p. 278-279.